Le moment le plus créatif de votre journée n’est pas celui que vous croyez
Nous vivons tous au rythme de notre horloge interne, c’est-à-dire du rythme circadien qui détermine les moments où nous sommes pleinement réveillés et ceux où nous ne tenons plus debout. Chacun pense être plus performant à certaines heures de la journée : les oiseaux de nuit font entendre leurs plus beaux chants dès le crépuscule, tandis que c’est au point du jour que les lève-tôt prennent leur envol. Mais pour ce qui concerne notre créativité, nous faisons peut-être fausse route.
D’après une étude portant sur l’effet des moments de la journée sur notre capacité à résoudre des problèmes, un brin de somnolence peut libérer nos esprits et ouvrir la voie à des solutions plus créatives. Mareike Wieth et Rose Zacks, deux chercheuses de l’Albion College, dans le Michigan, ont demandé à 428 étudiants de répondre au questionnaire « lève-tôt ou couche-tard » pour déterminer s’ils étaient plutôt du genre matinal ou oiseau de nuit. Elles les ont ensuite fait venir au laboratoire pour effectuer trois tâches analytiques et résoudre trois énigmes.
Pour les problèmes analytiques, les participants devaient arriver à une solution en suivant un raisonnement logique. Par exemple : « Le père de Bob a trois fois son âge. Ils sont tous deux nés en octobre. Il y a quatre ans, il était quatre fois plus vieux. Quel est l’âge de Bob et de son père ? »
Les énoncés des énigmes étaient quant à eux moins directifs et conçus pour brouiller les pistes. La solution exigeait un déclic, un éclair de génie. L’une d’entre elles présentait le scénario suivant : « Un antiquaire se voit proposer un magnifique denier de bronze. Un profil d’empereur est frappé sur une face et la date -544 av. J.-C. sur l’autre. L’antiquaire examine la pièce, puis, au lieu de l’acheter, appelle la police. Pourquoi ? »*
La moitié du groupe a effectué le test de bon matin, entre 8h30 et 9h30, l’autre s’est présentée entre 16h et 17h30. Tous les participants ont obtenu de meilleurs résultats sur les problèmes analytiques, sans effet apparent de l’heure du jour, mais les résultats étaient plus étonnants pour les énigmes. Les lève-tôt avaient davantage d’éclairs de lucidité en fin de journée, quand ils n’étaient plus très en forme, tandis que les couche-tard s’en tiraient mieux en début de journée, même s’ils n’avaient pas l’air bien réveillés. Il s’avère que la fatigue conférait aux étudiants une créativité 20 % supérieure à la normale.
Un esprit embrumé n’est pas toujours égaré
Selon les chercheuses, ce phénomène est dû au fait que pour résoudre certaines énigmes, nous devons nous sortir d’une sorte d’impasse mentale. En d’autres termes, il faut abandonner sa première compréhension du problème posé pour l’aborder sous un autre angle. Lorsque vous êtes pleinement occupé à une activité, tel un chien rongeant son os, votre cerveau a le don d’ignorer les sources de distraction pour se concentrer sur la tâche en cours. Le désavantage de cette focalisation de votre attention est qu’elle vous donne des œillères et vous prive d’autres approches qui pourraient vous mener à la solution.
Quand nous sommes fatigués, nos filtres sont moins efficaces et des pensées aléatoires comme « Je me demande ce qui se passe sur Twitter ? » ou « J’aurais peut-être dû être moins frontal pendant la réunion de ce matin » circulent librement dans notre esprit. « Une idée venue de nulle part peut venir se greffer à votre réflexion principale et vous permettre d’arriver à un résultat créatif », explique Mareike Wieth dans une interview accordée à The Atlantic. « Vous n’aurez pas cette idée salvatrice pendant les heures où vous êtes le plus en forme. »
D’autres chercheurs sont parvenus à des résultats similaires. Une autre étude psychologique présentait trois mots comme « attente », « indienne » et « double » aux participants en leur demandant d’identifier leur point commun (ici le mot « file »). Les personnes testées en dehors de leurs heures de forme résolvaient davantage de problèmes lorsque ces mots étaient accompagnés d’indices (par exemple « garé » pour « double », « rangé » pour « indienne » et « queue » pour « attente »). Mais les mêmes indices n’amélioraient pas les résultats des participants testés durant leurs heures de forme : leur concentration était telle qu’ils ne tenaient compte d’aucun élément extérieur, même lorsque ceux-ci leur étaient utiles.
Planifiez vos journées pour optimiser votre créativité
De nombreux experts en gestion du temps recommandent toujours de vous attaquer à vos projets les plus urgents dès le matin, quand votre esprit est pleinement reposé. Même si cette approche est défendable, nous vous conseillons de commencer par déterminer si le projet en question requiert une réflexion de type contraint ou diffus. Si vous êtes du matin et devez planifier le budget du trimestre à venir, privilégiez le début de la journée. En revanche, si votre objectif est d’imaginer un concept original pour une nouvelle campagne marketing, attendez que les brumes de fin de journée viennent envelopper votre esprit.
Comme la fatigue et les distractions sont les alliées de votre créativité, il peut aussi être utile d’éviter le café lorsque vous recherchez une solution inédite. Et si l’on vient vous reprocher le désordre qui règne sur votre bureau, expliquez qu’il s’agit en fait de vos stimuli créatifs.
Commencez par déterminer si vous êtes du matin ou du soir
Nous pouvons généralement déterminer notre type circadien en fonction de notre heure de coucher. Mais notre personnalité et notre style de vie peuvent nous induire en erreur sur ce point. Pour découvrir le type de dormeur auquel vous correspondez réellement, Till Roenneberg, professeur en chronobiologie et auteur d’Internal Time, conseille de ne pas fermer ses volets la nuit. Si vous vous réveillez avec le soleil, c’est que vous êtes plutôt du matin : les oiseaux de nuit n’ont aucun mal à dormir malgré la lumière. De nombreux tests en ligne sont également disponibles pour découvrir votre cycle de sommeil naturel.
Nous ne sommes pas tous faits pour nous concentrer sur des problèmes complexes dès le lever du jour, et certains cerveaux tendent à s’embrouiller avec le coucher du soleil. Mais cet état de fatigue peut assouplir notre concentration et encourager des solutions plus inventives. C’est en comprenant notre cycle circadien personnel que nous parviendrons à trouver le moment du jour le mieux adapté à nos projets créatifs et à exploiter l’inventivité d’un esprit libre, débarrassé de ses œillères.
* Si vous lisez ce texte en dehors des heures où vous êtes le plus en forme, la mention « av. J.-C. » n’aurait pas pu être utilisée pendant l’époque concernée, puisque ce calendrier n’avait pas encore été inventé.